En Europe, la population carcérale âgée a fortement progressé ces dernières décennies. Or, la majorité des prisons ont été conçues pour des détenus jeunes, généralement en meilleure santé. Les infrastructures, les services, les activités proposées, ainsi que les pratiques apparaissent souvent inadaptés pour des personnes plus âgées. L’isolement, les problèmes tant physiques que psychiques, exigent une prise en charge particulière.
Comment adapter les lieux de détention aux besoins des détenus âgés ? Comment rompre l’isolement de ces personnes, souvent peu visitées par leur famille, souffrant parfois de problèmes physiques les empêchant de participer aux activités quotidiennes de la prison ? Question plus ardue encore : la fin de vie doit-elle survenir entre quatre murs ou à l’extérieur ? Tous les centres de détention en Europe sont confrontés à ces défis. Garantir la dignité des personnes n’est pas qu’une question d’humanité, mais aussi de droit.
Dans mon travail, je rencontre de nombreuses personnes âgées en détention. Leur fragilité m'interpelle et les régimes de détention ne sont pas toujours adaptés. Les administrations pénitentiaires se sont emparées de la problématique, mais il leur est difficile de faire face aux besoins multiples et complexes des détenus âgés.Elisa Querci, déléguée détention de la délégation régionale du CICR à Paris.
Comment mieux assurer un traitement digne de ces détenus ? Voici recueillies des paroles d’experts en marge d’un atelier* organisé par le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) en décembre 2016. Cet atelier a été l’occasion de formuler un certain nombre de recommandations pour améliorer la prise en charge des besoins spécifiques des détenus âgés. Ces recommandations ont été regroupées dans un rapport, intitulé « Vieillir en détention », disponible à la fin de l’article.
A partir de quand sommes-nous « âgés » ? Vieillit-on de la même façon en prison qu’en liberté ? Les experts font la distinction entre l’âge « biologique » et l’âge « chronologique » : « Avoir 65 ans ne dit pas tout de notre condition » souligne Sonja Snacken, Professeur de Crimonologie à la Vrije Universiteit Brussel en Belgique. Notre âge chronologique ne suffit bien entendu pas à décrire notre état de santé physique ou mentale. En détention, compte tenu des besoins et des conditions particulières de vie, on admet qu’une personne est « âgée » à partir de 50 ans.
A l'évidence, plus nous vieillissons, moins nous sommes en bonne santé. En fonction des personnes, le vieillissement se traduira par l’accumulation de problèmes de santé différents, qu’il s’agisse d’une perte de mobilité, de la vue, du développement de maladies chroniques, de cancers, ou encore de troubles psychologiques. Or, dans certains centres pénitentiaires, le service médical fonde sa pratique sur un modèle « urgentiste » inadapté au diagnostic et à la prise en charge de certaines pathologies telles que les maladies chroniques ou encore la démence sénile.
L'enfermement semble également accélérer le processus de vieillissement : on estime qu'en moyenne, un détenu en prison a biologiquement 10 ans de plus qu'une personne du même âge vivant à l'extérieur. De plus, certains détenus peuvent souffrir de problèmes de santé liés à leur mode de vie antérieure à leur incarcération, tels que l'abus de substances (narcotiques, alcool, tabac par exemple) ainsi qu'un accès limité aux services de santé (préventifs comme curatifs).
Les centres pénitentiaires sont également confrontés à l’épineuse question de la mort de leurs détenus âgés. Comment leur assurer une mort digne ? En prison ou à l'extérieur ? « Cette question n’est pas seulement juridique, mais aussi médicale et éthique » souligne Elisa Querci, déléguée détention du CICR. « Les administrations pénitentiaires, comme les médecins et d’autres acteurs intervenant dans le milieu carcéral, sont concernés par ces questions ».
Vieillissement des proches, rupture des liens familiaux, éloignement géographique et difficultés des familles à se déplacer, tout concourt à isoler les détenus âgés. Pour M. Saidou Guindo, chef de la détention du Centre de détention des Nations Unies à Arusha (Tanzanie) dépendant du MTPI (Mécanisme pour les Tribunaux Pénaux Internationaux), le maintien des liens familiaux demeure un défi. Les condamnés du TPIR (Tribunal Pénal International du Rwanda) ont commis des crimes d'une gravité extrême et purgent leur peine loin de leur famille et de leur pays. Néanmoins, quelle que soit la nature des crimes perpétrés, tout détenu a le droit de rester en contact avec sa famille. Comment dans ce contexte assurer le maintien du lien familial ?
Par ailleurs, les activités en détention ont généralement été pensées pour une population jeune. Cet état de fait accroît l’exclusion, l'isolement et l'inactivité des détenus âgés. « En prison, vous avez comme activités du sport, de l'éducation, mais si vous avez 80 ans... » souligne Sonja Snacken. « Il faut donc imaginer d’autres activités et également envisager, l’après, la réinsertion. Si vous n'avez plus de famille, que vous n'êtes plus capable de travailler, et qu'à votre sortie de prison, on s'attend à ce que vous ayez un réseau, un revenu, c'est bien entendu plus difficile que pour des jeunes ».
Laisser les détenus âgés sans assistance aggrave leur santé tant physique que mentale et les met inévitablement en danger, sans parler des risques encourus face à des détenus plus jeunes. « On pourrait croire que protéger les personnes vulnérables dans un univers aussi contrôlé qu'une prison est chose simple » explique Eamon O'Moore. « En réalité, c’est difficile car cette minorité demeure marginale par rapport aux problèmes et contraintes quotidiennes que posent la population carcérale…. En fait, cette question est négligée.»
« Les détenus âgés sont les « grands oubliés » dans les prisons. Comme nous avons pu le voir au cours de l'atelier {organisé par le CICR}, ils ne posent généralement pas de problèmes au personnel de surveillance. Comme ils ne vont pas nécessairement s'exprimer, leurs problèmes ne vont pas toujours être repérés et réglés. » Anne-Sophie Bonnet, responsable des relations extérieures du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en France.
L'augmentation de la population carcérale âgée impose aux administrations pénitentiaires d'adapter leurs services afin d’identifier et répondre aux multiples vulnérabilités, à garantir la dignité de ces détenus, et anticiper, le cas échéant la réinsertion une fois la liberté recouvrée.
Certaines travaillent déjà à des solutions, mais les défis demeurent nombreux, tant ils interrogent le système carcéral dans son ensemble : l'accès aux soins, les services, les activités, voire la structure même de la prison. Eamon O'Moore, responsable national de la Santé et Justice à l’Agence de la Santé Publique d'Angleterre, prône une approche globale de toutes ces questions.
Par les Conventions de Genève, le Comité International de la Croix-Rouge a reçu le mandat de visiter les prisonniers de guerre et les internés civils en période de conflit. En 2017, il a visité 940 326 détenus dans plus de 1400 établissements. En 2015, plus de 920 00 détenus ont bénéficié des visites du CICR dans près de 1600 lieux de détention. Ces visites visent à garantir que les détenus sont traités avec humanité et dans le respect de leur dignité en conformité avec les normes et standards nationaux et internationaux.
Les États membres du Conseil de l’Europe sont par ailleurs tenus de mettre en œuvre les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) les concernant sur les droits des détenus. Ces décisions ne sont pas contraignantes pour d’autres Etats, mais elles peuvent et devraient influencer des changements. « Nous avons vu la Cour européenne accentuer sa protection des droits des détenus dans les deux dernières décennies, souvent sous l'influence du Comité européen de Prévention de la Torture qui visite les lieux de détention » explique Sonja Snacken.
Les détenus ont des droits, et la situation actuelle à laquelle font face la plupart des personnes âgées en détention révèlent des failles dans le système carcéral de nombreux pays. L'objectif de l'atelier du CICR était de regrouper un maximum d'acteurs concernés par cette problématique afin de parvenir à des recommandations pratiques pour améliorer les conditions de vie des détenus âgés. « Le CICR a une expérience dans le domaine de la détention et il est important qu'il puisse jouer le rôle de facilitateur, de réunir les experts et les organisations avec les autorités pénitentiaires pour développer une réflexion », indique Elisa Querci.
« Il est évident que des recommandations - qui viennent du CICR mais qui se basent sur l’expérience d’experts et de personnel d'administrations de divers pays - vont nous être utiles, pour porter les messages aux Ministères de la Justice et de la Santé en France ». Anne-Sophie Bonnet, en charge des relations extérieures du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) en France
Les personnes âgées posent un défi non seulement aux employés pénitentiaires, mais également à ceux qui travaillent dans le secteur de la justice pénale. Lors d’une arrestation par exemple, certaines personnes âgées peuvent avoir des difficultés à obéir aux ordres d’un officier de police, à cause de problèmes médicaux liés à leur âge, comme des déficiences sensorielles ou la démence sénile. Parallèlement, il peut s’avérer difficile pour l’officier de police de décerner s’il s’agit d’un problème d’ordre criminel ou de santé. « Une formation les aiderait à développer une approche pro-active dans la façon de gérer au mieux des personnes âgées et demander de l’assistance médicale si besoin » souligne Dr Brie Williams, directrice du programme Justice Pénale et Santé, et du projet de Tideswell Justice Pénale et Vieillissement, à l’université de Californie à San Francisco. Selon elle, afin de garantir le dépistage et la prise en charge des vulnérabilités de détenus âgés, il faut adapter les politiques et pratiques de l’ensemble de la chaine judiciaire – non seulement lors de la détention et la réinsertion, mais également lors de l’arrestation et pendant la procédure judiciaire. « Des personnes âgées, à cause de problèmes de santé, peuvent avoir des difficultés à participer à leur défense et aux procédures judiciaires. Il est donc essentiel que le personnel judiciaire sache reconnaître des troubles cognitifs et la démence sénile afin de pouvoir y répondre de façon appropriée ». Cela pourrait par exemple rompre le cycle d’interpellations répétées ou encourager des alternatives à la détention, reposant sur un traitement approprié. Il est donc important de développer et organiser des formations spécifiques en gériatrie à plusieurs métiers, soit aux officiers de police, avocats, juges, personnel du tribunal correctionnel, agents de probation ainsi que les médecins.
En anglais - Ce rapport synthétise les présentations et les discussions de l’atelier consacré aux besoins spécifiques des personnes âgées en détention, organisé par le CICR en décembre 2016. Pendant deux jours, des experts dans le domaine ont discuté avec les participants la prise en charge des personnes âgées en milieu carcéral sous différents angles, celui de la santé, de l’éthique, du cadre légal, de l’hébergement et encadrement, etc. Le rapport détaille également les recommandations issues des discussions.
En anglais - Ce livret est destiné à aider les Etats et d’autres acteurs à améliorer les conditions de détention pour les détenus âgés, comme pour le personnel travaillant en détention. Il se fonde sur l’expérience du CICR sur le terrain, ainsi que sur de présentations réalisées lors de l’atelier mentionné ci-dessus et d’autres ressources documentaires.
En anglais - Cet article, publié dans la Revue internationale de la Croix-Rouge, décrit certains défis rencontrés par les centres pénitentiaires pour assurer les soins de santé aux détenus âgés. Il souligne aussi certaines stratégies pour les améliorer et identifie des domaines qui nécessitent de profonds changement. L’article se fonde essentiellement sur des exemples et des recherches menées aux Etats-Unis afin de proposer des idées et des recommandations qui peuvent se révéler pertinentes ailleurs.